Ces deux séances d’atelier sont destinées au groupe de travail Data fiction pour les mener à scénariser des fictions spéculatives sur leurs projets.
Attention : elles ont lieu toutes les deux exceptionnellement au 42, : 96 Boulevard Bessières, 75017 Paris, de 9h à 18h.
Dans une conférence donnée le 18 mai 2006 à l’ENS (http://www.diffusion.ens.fr/index.php?res=conf&idconf=1286), Quentin Meillassoux invente un objet philosophique non identifié : la fiction hors science, c’est-à-dire une fiction qui ne répond aucunement aux lois scientifiques du monde. La FhS est un style littéraire inexistant parce qu’irréalisable et ennuyeux, un monde où tout changerait tout le temps dans un hyperchaos. Ce concept a le mérite de proposer en creux une définition de la science-fiction. Celle-ci répond aux règles de la science, principalement les principes de raison et d’identité, mais introduit autour de cette cohérence toutes les variations possibles.
C’est précisément la conjonction entre ce respect des règles scientifiques et cette plasticité ontique qui semble être une source d’inspiration pour l’innovation. En effet, la science n’est plus seulement d’observation, mais induit également une construction comme dans le cas de la génétique. En ce sens, l’innovation a partie liée à l’imaginaire et à l’art. En reléguant au second plan, le fonctionnalisme de l’époque industrielle qui tentait de répondre à des « besoins », ou en prétendant faire de la sorte, notre contemporanéité a bouleversé la définition même de la technique qui est devenue techno-logos. Les technologies répondent moins à des besoins vitaux qu’elles ne suscitent des désirs agençant des nouveaux comportements qui prennent placent dans des mondes possibles. Dans ce nouveau cadre épistémologique l’art permet de disjoindre matérialisme et réalisme, et devient un mode d’effectuation du non-encore existant. Il apparaît comme une méthode pour faire advenir ce qui n’est pas tout en gardant un point de vue critique par rapport à ses propres conditions d’émergence. Cette réflexivité des procédures et ce doute quant à la valeur de vérité pourrait bien ouvrir une autre politique de l’innovation.
L’innovation, dont le moteur principal semble technologique, fluctue entre l’enthousiasme fasciné envers la libération de nouvelles potentialités, comme dans le cas du transhumanisme, et la conjuration vis-à-vis du déchaînement de ces mêmes possibilités. D’un côté, une conception volontariste, qui n’est pas sans rappeler le caractère prométhéen de la modernité, de l’autre une conception autonomiste qui envisage les technologies à la manière d’un organisme qui suit son propre développement et sa propre logique. Mais parce que les technologies se fondent pour une grande part sur les sciences et que celles-ci transforment la réalité, l’innovation ne se limite plus à une machinerie technique. Elle s’intègre dans le tissu d’une réalité transformée tant dans les comportements sociaux que dans l’environnement naturel : hybridations en tout genre, nanotechnologies devenues invisibles, nature proliférante. C’est un autre récit de l’innovation qui voit le jour.
Comment associer l’exigence critique avec la nécessité d’inventer le futur ? Comment éviter une emphase croyant trouver la solution à toute chose, dont la mort, tout autant qu’une forme de pessimisme critique et nostalgique ? La fiction n’est pas une rêverie éloignée de la réalité, elle est configuratrice de mondes si l’innovation apprend à s’en saisir. La science-fiction peut alors devenir un modèle méthodologique pour anticiper l’innovation : plutôt que de décrire un objet isolé, elle considère le monde dans lequel se place cet objet, l’ensemble des choses et des comportements dont il procède. L’innovation pourrait alors devenir le récit d’un monde qui excède notre horizon au croisement des technologies, de l’économie, de l’art, de la littérature et du design.
Bibliographie indicative :
Ces ouvrages ne seront pas étudiés pendant l’atelier, mais en forment l’arrière-plan conceptuel.
Bratton, Benjamin H. The stack: on software and sovereignty. Software studies. Cambridge, Massachusetts: MIT Press, 2015.
Galloway, Alexander R., et Eugene Thacker. The Exploit: A Theory of Networks. Minneapolis: Univ Of Minnesota Press, 2007.
Gitelman, Lisa. Always Already New: Media, History, and the Data of Culture. The MIT Press, 2008.
Godard, Jean-Luc. Histoire(s) du cinéma. Paris; Paris: Gallimard, 2006.
Harris, Craig. Art and Innovation: The Xerox PARC Artist-in-Residence Program. Illustrated edition. The MIT Press, 1999.
Johnson, Steven. Where Good Ideas Come From: The Natural History of Innovation. 1ʳᵉ éd. Riverhead Hardcover, 2010.
Kurzweil, Ray. Humanite 2.0: la bible du changement. Paris: M21 éditions, 2007.
Lyotard, Jean-François. L’inhumain. Galilée, 1988.
Meillassoux, Quentin. Métaphysique et fiction des mondes hors-science. Paris: les Éd. Aux forges de Vulcain, 2013.
Parrika, Jussi. The Anthrobscene. Minneapolis: Univ. of Minnesota Press, 2015.
Silver, Nate. The Signal and the Noise: Why So Many Predictions Fail — but Some Don’t. 1 edition. New York: Penguin Press HC, The, 2012.
Srnicek, Nick, et Alex Williams. Inventing the future: postcapitalism and a world without work. Brooklyn, NY: Verso Books, 2015.
Steyerl, Hito, et Franco Berardi. The Wretched of the Screen. E-Flux Journal 6. Berlin: Sternberg Pr, 2012.
Stiegler, Bernard, Yann Moulier Boutang, Alain Cadix, et Collectif. Le design de nos existences : A l’époque de l’innovation ascendante. Mille et une Nuits, 2008.
Negarestani, Reza. Cyclonopedia: Complicity with Anonymous Materials. re.press, 2008.
Turner, Fred, et Dominique Cardon. Aux sources de l’utopie numérique : De la contre culture à la cyberculture. Caen: C&F Editions, 2013.
Intervenants : Alexandre Cadain, Grégory Chatonsky, Goliath Dyèvre et Stéphane Maguet.
Suivi de projet dans le Fablab pour aider les groupes à modéliser et à prototyper matériellement leurs projets.
Venir avec un ordinateur portable.